Alors que je réfléchissais aux sujets que j’avais envie d’aborder avec vous sur Manyfest, une question a commencé à me trotter dans la tête : est-il sain de promouvoir le bonheur ? 

C’est vrai que lorsque j’ai commencé à penser ce projet, à creuser cette idée de « nouveau média », puis que j’ai imaginé la ligne éditoriale que je souhaitais construire, pour enfin arriver au moment de le pitcher auprès des uns et des autres, je me suis entendue utiliser le terme « développement personnel » pour expliquer certains contenus que je souhaitais créer. Et je me suis vue, par le son de ma voix, ma posture, de pas assumer complètement ce terme. En fait je ne voulais pas l’utiliser, mais c’était le seul que j’avais à disposition pour tenter de labelliser ce que je souhaitais faire.

C’est à ce moment qu’une petite lumière s’est allumée dans ma tête. 

Ne trouvez-vous pas que ce terme a revêtu, ces derniers temps, une sorte d’habit un peu agaçant qu’ont bien voulu lui donner certains magasines, journalistes, leaders d’opinion ou créateurs de contenus ? Un habit fait de positivité à outrance et de « good vibes only », qui part d’un bon sentiment mais qui est venu lisser un sujet pourtant tellement vaste et complexe ? 

C’est le sentiment que j’ai depuis quelques mois. Ce label a perdu de son sens et de sa substance. Comme tous les labels, il s’est laissé enfermer dans sa petite case faite de jolies citations et de concepts vendeurs. Pourtant, j’ai la conviction que c’est un sujet, l’exploration de soi, la « réflexion personnelle », qui mérite qu’on le traite avec sérieux et profondeur. Peut-être encore plus maintenant d’ailleurs. Maintenant que nous avons pris conscience (ou que nous sommes en train de le faire) du poids qui pèse sur notre génération. Notre génération au sens large d’ailleurs, composée de l’élan de la jeunesse, qui comme souvent revêt le rôle de porte-parole, mais aussi de plus anciens, qui transmettent l’expérience et les leçons d’un autre modèle, qu’ils remettent en question, eux aussi.

Une génération aux multiples défis et aux devoirs nombreux comme par exemple : celui de déconstruire les mentalités vis à vis de l’environnement (pour mieux les reconstruire), celui de repenser le monde du travail, qui est en crise, celui d’imaginer de nouveaux schémas de réussite, celui de créer une société plus paritaire et plus égalitaire, celui de réconcilier salariat et patronat, celui de redonner une vraie place à l’École etc.

Évidemment, les questions existentielles et les tiraillements qui accompagnent tous ces enjeux collectifs mais aussi individuels sont nombreux ; et accorder de l’énergie à s’explorer, à comprendre ses besoins, à trouver sa place dans ce monde ou à être plus aligné me semble être une sujet essentiel. Et c‘est là que souvent, intervient cette notion de « développement personnel ». Comme un besoin universel ressenti à grande échelle.

J’en reviens donc à la question du bonheur, qui est souvent une idée connexe au développement personnel ou du moins une sorte de finalité absolue à ce dernier, semble-t-il. Comme si finalement, cette exploration de soi était le chemin, une méthode ; et le bonheur la destination, le résultat. Une sorte de graduation. D’ailleurs le mot « développement » l’illustre bien : il suppose une courbe de croissance, une échelle à niveaux, que l’on grimperait à mesure que l’on « s’initie » à la pratique…  

Je crois, après réflexion, qu’il est néfaste de présenter les choses comme ça. Néfaste pour deux raisons. 

La première est que je trouve cela incroyablement réducteur. Quand on s’embarque sur le chemin tortueux du dialogue avec soi, que ce soit via la thérapie, la lecture, le coaching, le yoga, la méditation, l’écriture, la CNV (communication non violente) etc. on se rend justement très vite compte que tout l’intérêt réside dans le chemin. Chaque étape. Chaque leçon. Chaque petite évolution.

« Life is a journey, not a destination ». C’est bien ce que l’on dit, non ? Cette petite phrase, souvent mise en couleur sur Pinterest, qui nous vient du poète et essayiste américain Ralph Waldo Emerson, illustre joliment cet état d’esprit. 

La seconde raison est que c’est extrêmement culpabilisant (et anxiogène) pour tous ceux qui, pour plusieurs raisons, n’atteignent pas forcément cette sorte d’épanouissement, de plénitude, d’absolu dans leur vie, qu’est « sensé procurer le développement personnel » tel qu’il est souvent présenté. Evidemment, comment se retrouver dans ces discours ultra-lisses de non contrariété permanente, de plénitude et de sérénité totale, de je mange sain- je fais du yoga – je lis – je suis alignée- rien n’a d’emprise sur moi- et je ne suis qu’amouuuur. 

Sans parler de toute la pression et charge mentale qui pèsent sur les femmes, notamment les mères qui doivent incarner la femme – l’amante – la mère (qui pratique évidemment l’éducation bienveillance, le cododo, l’allaitement, le 100% bio) tout en menant une carrière à succès et en adoptant une posture féministe et eco-friendly….Et donc qui, forcément, n’y arrivent pas, et culpabilisent à mort, malgré toutes leurs initiatives en « développement personnel ».

Je crois que c’est en chérissant nos imperfections, y compris morales, que nous arriveront à un vrai sentiment d’aise avec nous-même. Ça m’a mis du temps à le comprendre d’ailleurs. Et je pense que je suis parfois (souvent) tombée dans tous les pièges que je viens de vous décrire. 

Mais c’est en me souvenant du « pourquoi je créé manyfest » – témoigner pour inspirer les autres – que je me suis rendue compte qu’il fallait que je fasse de cette plateforme un lieu où l’on parle avec liberté et authenticité. 

Alors je vous propose de dire stop à cette injonction au bonheur permanent et de cultiver vos moments de doute, de vous laisser traverser par la souffrance lorsqu’elle frappe à votre porte, sans chercher à l’éviter ou la compenser. Stop à cette dictature du mieux, du toujours mieux. Et plutôt, oui à la notion de résilience