Il y a quelques semaines, j’ai fait un atelier d’écriture dont le thème était Marguerite Duras. Immense auteure française dont je connaissais un peu le style, très singulier. Presque parlé, accouché dans l’urgence, et déposé mot après mot avec une fausse simplicité.

J’ai adoré cet atelier. 

L’un des exercices a été d’écrire un texte, dans le style de Duras, à partir d’un mot que l’on avait choisi en début d’atelier au moment de se présenter, sans savoir à quoi il servirait. J’avais été la première à commencer le tour de table. 

« Bonjour à tous ! Je m’appelle Jade, j’ai 26 ans, je suis passionnée par les livres, la littérature, la philosophie, le développement personnel. J’écris depuis toujours, plutôt à l’instinct, sur des carnets ou sur internet… et c’est mon premier atelier d’écriture. Je suis vraiment ravie d’être là ce matin. Alors mon mot… Mmmmh… je dirais, la liberté ». 

Et le tour de table a continué ainsi. Chacun disait en quelques secondes une ébauche de son histoire. Nous invitait à le découvrir via le prisme de ce discours improvisé et des quelques mots que l’on choisi à cet instant T. Nous avions ensuite passé les 2 heures suivantes à faire des exercices de style divers, de création. Jusqu’au moment où il a fallu ressortir ce fameux mot.

« Exercice numéro 3 : Continuez à partir de la phrase ci-dessous, en laissant venir, en laissant l’écriture courir : « Je ne parlais de ça à personne. Votre mot. … »

Et alors là, quelque chose de très intense s’est produit. Nous avions, je crois, une vingtaine de minutes pour réaliser ce texte. J’ai donc attrapé mon ordinateur… et je n’ai pas pu m’arrêter d’écrire pendant 4 ou 5 minutes. Un shoot. Comme si j’avais tant de choses à dire sur ce que je ne disais justement à personne. Comme un secret bien gardé que l’on nous donnait enfin la permission de révéler – avec pour seule contrainte de le dire comme Duras. Une course effrénée, pour ne louper aucun mot, aucune sensation, pour écrire comme on pense. Sans filtre et sans restriction.

Pendant ces 4 ou 5 minutes je n’avais plus conscience de mon environnement. Je n’avais plus de pudeur, ni même de vulnérabilité vis à vis de cette confession. « Je ne parlais de ça à personne » nous invitait à révéler une part de notre intimité et je me suis rarement sentie aussi à l’aise d’y mettre des mots. Comme si en réalité, c’est surtout à moi que ce message était destiné.

Alors j’ai écrit ce texte. Et je l’ai lu à voix haute. Je vous invite à le faire aussi, si vous le pouvez. 

Je ne parlais de ça à personne. La liberté. Cette volonté de partir. De fuir. De fuir si loin qu’on ne pourrait jamais me retrouver. Je ne parlais de ça à personne, de cette urgence de tout quitter. D’être seule. D’entendre le bruit du vide, de l’absence. De ne rien entendre en fait.

Je suis fatiguée. Je crois. Ou alors effrayée. Peut-être. De me perdre dans ce jeu. Ce jeu de rôle permanent. Usant, énervant, révoltant, agaçant. Qui masque tout. Tout jusqu’à l’oubli. L’oubli de l’identité. L’oubli de la vérité. Alors j’écris. J’écris pour me souvenir. Me souvenir de cette vérité. Cette vérité dérangeante. Elle me permet de m’évader du réel, cette vérité. C’est pas la même chose le réel. Le réel et la vérité c’est pas la même chose. La vérité, elle, s’affranchit de tout. Elle existe c’est tout. Elle est là. Elle ne vous fait pas plaisir. Elle ne vous rassure pas. Ce n’est pas son rôle. D’ailleurs, elle n’a pas de rôle. Elle existe c’est tout. Et bien la liberté c’est la vérité. Sa propre vérité, assumée, criée, montrée aux yeux de tous. Ou alors à ses propres yeux.

En effet, j’ai toujours eu un rapport à la liberté très particulier. 

Un sentiment omniprésent dans mon esprit mais qui s’exprime par élans. Comme de grandes respirations. Un sentiment qui se positionne souvent comme une révolte, une porte de sortie. Autant de respirations difficiles à suivre, forcément, pour ceux qui m’aiment, tout à côté de moi, au quotidien.

Mais aussi pour moi.

J’en ai conscience, mais je n’y peux rien. Quand elle sort, toute puissante de sa tanière, elle est comme un feu de forêt. Elle se propage, intraitable, dans chaque petite partie de mon corps. Elle me crie de sortir, de courir, de partir aussi. De vivre à m’en épuiser. De m’isoler aussi, des miens, dans une course effrénée, parfois vers les autres.

J’ai souvent essayé de comprendre, même d’analyser, ce qui finalement m’apparaît aujourd’hui comme ma nature profonde, maintenant que je me connais un peu mieux. Le défi se mesure donc dans la capacité à accueillir ces élans de liberté, de révolte et à les faire cohabiter avec ce que l’on s’efforce de construire au long court. Parce quand on y pense la vie est à la fois une aventure longue, sinueuse, complexe, qui pourtant ne se fait par définition que d’instants présents. De décisions ponctuelles. Aux conséquences pourtant lointaines parfois. 

J’ai aussi longtemps eu, associé à ce besoin viscéral de liberté, un sentiment de culpabilité. Comme si elle se positionnait toujours contre le reste. Contre les autres. Les autres sentiments, les autres êtres humains qui m’entourent. Un sentiment de culpabilité né aussi – peut-être ? – de ce besoin de conformité. 

Pourquoi je ne réagis pas de la même façon que « la norme » ? Pourquoi ces élans d’anarchie émotionnelle ?

Ce pourquoi j’ai tellement essayé d’y répondre. 10 fois, 100 fois, 1000 fois. À m’en torturer l’esprit. À atterrir sur de véritables questions existentielles. Qui alors, me dépassaient et coupaient tout élan de vie. Paralysie. Angoisses. 

Et puis à force de questionnements, de lectures, d’observation du monde et des autres. J’ai mieux compris ce que ces besoins me hurlaient aux oreilles. J’ai compris que ce sentiment de liberté n’agissait pas contre moi mais pour moi. J’ai compris que me battre contre lui n’était pas la solution mais plutôt le problème. Par continuité, j’ai aussi compris comment faire cohabiter ces deux mondes : celui du temps long, peuplé de ceux que j’aime et qui m’aiment et avec qui je construis mon chemin de vie avec celui du feu et de la fougue. Celui des élans individuels et des passions. 

Comment ? Par le dialogue beaucoup. Ultime moyen d’éprouver l’amour des siens selon moi, et merveilleux outil d’ouverture et de tolérance.

Par l’introspection aussi. Chacun trouvera son outil : la méditation, la lecture, la musique, la thérapie, la sophrologie, le yoga… Qu’importe. Mais définitivement, mieux se connaître est une voie royale vers l’acceptation de ses propres aspérités. De ses propres vérités.

Et puis aussi par la rencontre avec la vie, la vraie. Parce que s’interroger, penser, dialoguer intérieurement… c’est merveilleux mais rien n’est plus significatif que les enseignements qui viennent du courage d’être parti à la rencontre de la vie. De ses événements, de ses surprises, de ses rencontres inattendues, de ses dangers et de ses risques. C’est à mon sens la meilleure façon de trouver les réponses que l’on cherche. En allant vers son risque, sans crainte.

Car même dans le chaos le plus total, restera toujours la flamme de l’amour. L’amour de l’autre, pour ceux qui auront la chance de le croiser sur le chemin, ou l’amour de soi, qui est là, toujours et qu’il est essentiel de ne pas bafouer tout au long du chemin.