Comment se sentir légitime ?

Non-sentiment de légitimité, syndrome de l’imposteur… ce sont des termes que l’on entend souvent ces derniers temps dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Quand on y pense ce sont des sentiments assez universels finalement, que l’on a tous ressenti au moins une fois, surtout lorsque l’on a tendance à avoir une approche plutôt « autodidacte » et un profil polyvalent. J’ai même l’impression que c’est un sentiment d’autant plus présent au sein de notre génération (les Y et les Z), qui avons grandi avec les tutos youtube, les formations en ligne, les MOOC, les e-books et qui, in fine avons des trajectoires de vie, notamment sur le plan professionnel, plus sinueuses.

Quand dans le modèle précédent, celui de nos parents par exemple, la légitimité avait tendance à s’acquérir par les études ou l’héritage familial, on constate qu’aujourd’hui les choses sont un peu différentes. L’émergence de nouveaux métiers du numérique, qui n’ont pas encore énormément de cadre ou de parcours type, ou encore les carrières plurielles faites de reconversions et de formations au long court, font que certains se retrouvent parfois tiraillés par un sentiment d’illégitimité. 

Lorsque j’ai fait Gold Up (bootcamp pour entrepreneurEs by The Family), j’ai discuté de ce sujet avec le directeur pédagogique de LION, une école sur l’entrepreneuriat, « qui transmet les outils, techniques et méthodes inédites des entreprises les plus innovantes ». Il m’expliquait que c’était un sentiment, au delà même de la génération, qui se retrouvait beaucoup chez les femmes. Chez Lion, mais aussi chez The Family c’est quelque chose qui, visiblement, se vérifiait très régulièrement. 

C’est à dire que même dans le milieu des startups et de l’entrepreneuriat, qui est déjà une vraie jungle, les femmes partent avec un handicap supplémentaire. Sympa. 

Et puis nous avons continué à discuter, je lui ai parlé de Manyfest, de ma ligne éditoriale, de mon approche et de ma vision.

Et puis nous sommes revenus à ce sujet de la légitimité, car je pense qu’inconsciemment je cherchais moi-même une validation et une sorte de réassurance sur ma légitimité à lancer ce projet justement. 

Et c’est là qu’il m’a dit quelque chose d’extrêmement juste. 

Il m’a dit : « tu sais, après tout, l’essence de la légitimité c’est l’authenticité. L’honnêteté de la démarche et la faculté à dire, ok, voici ma proposition sur tel ou tel sujet ».

Cette phrase a continué à faire son chemin dans ma tête pendant plusieurs jours. Souvent bloquée par mon sur-perfectionnisme et cette peur paralysante d’illégitimité, elle avait fait naître chez moi une vraie réflexion.

C’est vrai, quand on y pense vraiment, l’honnêteté ne suffirait-elle pas à rendre légitime ? L’honnêteté de s’emparer d’un sujet, d’un projet, d’une entreprise, d’une cause…qu’importe, en assumant le discours suivant : « que je sois expert ou non, voici l’approche que je propose ». Voici mon ajout au débat. Voici ma proposition. 

Ça me semble plutôt évident maintenant, mais il est vrai qu’en abordant cette posture, on se met non seulement à l’abri de ses propres doutes, mais aussi à l’abri des possibles critiques ou jugements d’autrui. On devient quasiment intouchable. Et oui, comment attaquer quelqu’un ou remettre en cause sa légitimité à entreprendre telle ou telle chose, lorsqu’il adopte un discours aussi humble que « je vous propose simplement une option, la mienne, celle qui me ressemble. Vous êtes libre d’y adhérer. »

C’est fou, je n’avais jamais vraiment abordé les choses sous cet angle et tant de fois je me suis laissée gagnée par la peur d’être jugée illégitime… 

Conséquence ? l’immobilisme. 

Ça fait du bien de se libérer petit à petit de ce piège. 

Et puis quand on parle de légitimité, il y a un autre point qui me semble super important à soulever, et ça pour le coup c’est quelque chose que j’ai appris avec le programme Fais le Bilan de Switch Collective, c’est la notion de « talents ».

Il y a une grande part du programme dédiée à l’introspection (toute la première partie) qui permet de mieux se connaître et de faire le point sur ses valeurs, ses besoins, ses aspirations et puis aussi, ses « super-pouvoirs » ou « talents ». Un véritable exercice d’exploration de soi mais aussi de lucidité : être capable de voir non pas seulement ses faiblesses et points faibles (qu’on nous a mis en lumière depuis tout petits, et sur lesquels on nous a encouragé à travailler afin de les gommer) mais aussi et surtout sur nos points forts.

C’est vrai que quand on y pense, en tous cas en France, on nous a souvent répété qu’il fallait être complet, ne pas avoir de lacunes et travailler fort pour gommer nos points faibles ; plutôt que de chercher à renforcer nos talents. Il faut être « dans la moyenne ». Par exemple, pendant toute ma scolarité, j’ai cherché à me perfectionner en math alors que je n’aimais pas du tout ça, pour réussir à atteindre un niveau moyen/+, plutôt que de chercher à devenir excellente dans les matières littéraires dans lesquelles j’étais déjà très douée. 

Maintenant que j’ai initié une réflexion sur cette notion de super-pouvoirs, j’avoue que ça me semble absurde d’avoir été invitée à penser de cette façon si longtemps. 

C’est fou à quel point, par peur de paraître arrogant notamment, on ne nous a pas appris à assumer nos préférences et nos talents. À quel point on ne nous a pas appris à dire « je suis douée dans ce domaine, j’aime ce domaine et j’ai une valeur ajoutée à apporter dans ce domaine », sans que ça ne soit perçu pour un trop plein d’assurance. 

Je pense qu’il y a un vrai travail d’état d’esprit à faire là-dessus.

Et ce travail il passe par 3 étapes : 

  1. Mieux se connaître 
  2. Identifier ses talents et super-pouvoirs 
  3. Les assumer

Trois étapes qui, au delà d’aider à trouver sa place dans ce monde, permettent selon moi à chacun de s’exprimer en toute liberté et surtout sans toute cette appréhension vis à vis du jugement des autres ou de soi-même sur la légitimité à aborder certains domaines. 

On y revient souvent, mais la liberté d’être soi, pleinement, est peut-être la chose que j’ai le plus envie de vous transmettre (et de me rappeler) avec Manyfest. Alors je vous invite vivement à faire ce petit travail en 3 étapes. 


Y Gen : Dictature de l’ambition ou anti-ambition ?

Il y a quelques semaines, je vous ai partagé un article sur les réseaux sociaux (via mon compte perso @jadespaper) qui vous a beaucoup plu : les réactions ont été nombreuses, nous en avons discuté ensemble et surtout c’est un article que vous avez beaucoup partagé. Et ça, c’est extrêmement révélateur. Comme si c’est un message que vous vouliez porter, relayer, transmettre à titre individuel et pas seulement recevoir. 

Cet article, « Ces 25-35 ans qui ne veulent plus faire carrière » paru dans Madame Figaro traitait, vous l’aurez compris, de l’ambition de la génération Y et de son rapport au travail. Sujet que je trouve à la fois essentiel et passionnant. 

Et puis il y a quelques jours, j’ai écouté l’un de mes podcasts favori, VLAN ! par Gregory Pouy, qui recevait Paul Douard, rédacteur en chef du magazine Vice France pour parler de « l’anti-ambition », sorte de mode de pensée (et de vie) que l’invité explique cultiver. 

Quand je fais l’état des lieux de ce que j’observe à titre personnel, en regardant ce qui se dit ou se fait autour de moi, à Paris ou en Martinique, à travers mes amis, ancien collègues ou connaissances, mais aussi ce que je lis ou écoute sur le sujet, je constate qu’il y a en réalité deux grands courants. 

L’un majoritaire et largement relayé dans les médias et sur les réseaux sociaux, quoi qu’ils veulent bien nous faire croire. C’est celui de l’injonction à une forme de « réussite » telle qu’on l’a conçue jusqu’à maintenant et qui nous est, dans l’état d’esprit, hérité de la génération de nos parents : 

Il faut réussir financièrement, réussir socialement, optimiser son temps, être performant, avoir toujours de nouveaux objectifs, de nouveaux projets, de nouvelles possessions, dépasser ses limites, être le plus beau possible, être en permanente croissance, gravir les échelons, lancer sa startup, progresser. Bref, il en faut toujours plus. Et si possible, il faut également faire tout cela dans l’ordre : faire des études, puis décrocher un super job, puis se marier, puis fonder une famille, puis élever ses enfants avec succès, etc. 

C’est, encore maintenant, et malgré quelques contre-exemples, le discours largement dominant, peu importe l’enveloppe qu’il revêt, et peu importe le niveau social ou la localisation géographique finalement. Un discours qui suggère d’ailleurs une certaine forme de mépris envers ceux qui ne font pas ce choix, et qui ne partagent pas, pour plusieurs raisons, cette vision de la vie.

Et puis il y a l’autre discours, encore minoritaire, mais qui jouit en ce moment d’une image plutôt séduisante dans les médias (qui adoooorent les story-tellers de talent sur le sujet) : c’est celui qui revendique un nouveau modèle de pensée. On peut l’appeler « l’anti-ambition » le « slow-work » ou slow life d’ailleurs. Une forme de lâcher-prise vis à vis de la réussite, une forme de contentement, de minimalisme. On a en tête ces anecdotes de cadres sup’ qui quittent des jobs de rêves, changent complètement de vie ou encore ces docus Netflix qui retracent ce types de parcours. Une forme de « révolte des premiers de classe » (titre d’un bouquin très interessant sur la question) qui veulent reprendre le contrôle de leur vie et se réapproprier leur liberté. 

Ce qui est intéressant avec cette deuxième posture, c’est que, bien qu’elle ne concerne qu’une très grande minorité de personnes en réalité (plutôt des urbains, CSP+, privilégiés, qui justement peuvent se permettent ces virages à 180 degrés), nombreux sont ceux qui se reconnaissent, d’un point de vue idéologique, dans ce discours à contre-pied du modèle prédominant et pour qui cela reflète leur façon de penser « au fond », s’ils faisaient abstraction de leur contraintes personnelles, matérielles ou familiales. 

Si je devais faire une synthèse de ce que je lis, observe et pense, je dirais qu’en réalité notre génération, au sens large du terme, a une ambition débordante, mais que cette ambition a simplement changé de visage. 

Exit le modèle unique de réussite, la course à l’optimisation et à la performance permanente. Exit aussi, ce fantasme vis à vis d’une prétendue volonté de la génération Y d’avoir une vie facile, exsangue de toute contrainte. Non tout le monde ne rêve pas de devenir « influenceur » dont la principale mission serait (prétendument) de se mettre en scène. Non tout le monde au sein de cette génération ne rêve pas non plus de télé-réalité et d’argent facile (même si c'est complètement OK d'aspirer à ça). Non, nous ne rêvons pas tous non plus de devenir des startupers à succès, qui viennent faire de belles interviews sur BFM.

En revanche, oui, nombreux sont ceux qui veulent une certaine liberté dans le COMMENT ils exercent leur job, qui rejètent le présentéisme et l’inertie du modèle pyramidale de certaines entreprises, bourré de process et qui tue toute forme d’innovation. Nombreux sont ceux qui souhaitent une revalorisation sociale de certaines compétences comme l’artisanat ou le travail manuel. Nombreux sont ceux qui veulent une redéfinition des élites car ils ne se retrouvent plus dans ce qu’elles sont et incarnent aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui veulent redéfinir leur rapport au temps et à l’espace (on pense notamment au rapport vie pro/ vie perso, aux exodes urbaines, aux travailleurs nomades, aux coworking, aux modes de transport, au télétravail etc.)

Je crois que ce qui caractérise l’ambition des 20-35 ans aujourd’hui est en réalité leur volonté et leur capacité à créer leur propre modèle de réussite directement en lien avec leurs besoins profonds. Cela inclura forcément un gros travail de connaissance et d’exploration de soi (mais vu le boom du « développement personnel » (livres, podcast, thérapies, yoga, retraites, émissions…, je pense que cette démarche est bien enclenchée) et je crois que ce n’est que le début d’une révolution bien plus globale, qui redéfiniras nos représentations, nos modèles et nos aspirations. 

Pour ma part, je me languis de voir la société changer de visage et je me réjouis d’y participer à mon échelle. À une époque où l’espérance de vie ne fait que croître et où la médecine nous permet d’être en meilleur santé plus longtemps, je crois qu’il est grand temps d’explorer le champs des possibles, notamment professionnels, avec le moins de barrières psychologiques ou sociales possible. C’est d’ailleurs assez formidable, de constater que ce « mouvement » de redéfinition du parcours professionnel, ne s’arrête pas aux frontières de la génération Y et qu’il touche tous les âges et tous les secteurs.

En effet, bien qu’elles soient encore anecdotiques, qu’il est inspirant de lire ces changements de vie de personnes pourtant installées dans des carrières à succès et qui relatent leurs virages à 180 degrés pour suivre - enfin - la voie dont elles avaient toujours eu l’intuition. 


Est-il sain de promouvoir le bonheur ?

Alors que je réfléchissais aux sujets que j’avais envie d’aborder avec vous sur Manyfest, une question a commencé à me trotter dans la tête : est-il sain de promouvoir le bonheur ? 

C’est vrai que lorsque j’ai commencé à penser ce projet, à creuser cette idée de « nouveau média », puis que j’ai imaginé la ligne éditoriale que je souhaitais construire, pour enfin arriver au moment de le pitcher auprès des uns et des autres, je me suis entendue utiliser le terme « développement personnel » pour expliquer certains contenus que je souhaitais créer. Et je me suis vue, par le son de ma voix, ma posture, de pas assumer complètement ce terme. En fait je ne voulais pas l’utiliser, mais c’était le seul que j’avais à disposition pour tenter de labelliser ce que je souhaitais faire.

C’est à ce moment qu’une petite lumière s’est allumée dans ma tête. 

Ne trouvez-vous pas que ce terme a revêtu, ces derniers temps, une sorte d’habit un peu agaçant qu’ont bien voulu lui donner certains magasines, journalistes, leaders d’opinion ou créateurs de contenus ? Un habit fait de positivité à outrance et de « good vibes only », qui part d’un bon sentiment mais qui est venu lisser un sujet pourtant tellement vaste et complexe ? 

C’est le sentiment que j’ai depuis quelques mois. Ce label a perdu de son sens et de sa substance. Comme tous les labels, il s’est laissé enfermer dans sa petite case faite de jolies citations et de concepts vendeurs. Pourtant, j’ai la conviction que c’est un sujet, l’exploration de soi, la « réflexion personnelle », qui mérite qu’on le traite avec sérieux et profondeur. Peut-être encore plus maintenant d’ailleurs. Maintenant que nous avons pris conscience (ou que nous sommes en train de le faire) du poids qui pèse sur notre génération. Notre génération au sens large d’ailleurs, composée de l’élan de la jeunesse, qui comme souvent revêt le rôle de porte-parole, mais aussi de plus anciens, qui transmettent l’expérience et les leçons d’un autre modèle, qu’ils remettent en question, eux aussi.

Une génération aux multiples défis et aux devoirs nombreux comme par exemple : celui de déconstruire les mentalités vis à vis de l’environnement (pour mieux les reconstruire), celui de repenser le monde du travail, qui est en crise, celui d’imaginer de nouveaux schémas de réussite, celui de créer une société plus paritaire et plus égalitaire, celui de réconcilier salariat et patronat, celui de redonner une vraie place à l’École etc.

Évidemment, les questions existentielles et les tiraillements qui accompagnent tous ces enjeux collectifs mais aussi individuels sont nombreux ; et accorder de l’énergie à s’explorer, à comprendre ses besoins, à trouver sa place dans ce monde ou à être plus aligné me semble être une sujet essentiel. Et c‘est là que souvent, intervient cette notion de « développement personnel ». Comme un besoin universel ressenti à grande échelle.

J’en reviens donc à la question du bonheur, qui est souvent une idée connexe au développement personnel ou du moins une sorte de finalité absolue à ce dernier, semble-t-il. Comme si finalement, cette exploration de soi était le chemin, une méthode ; et le bonheur la destination, le résultat. Une sorte de graduation. D’ailleurs le mot « développement » l’illustre bien : il suppose une courbe de croissance, une échelle à niveaux, que l’on grimperait à mesure que l’on « s’initie » à la pratique…  

Je crois, après réflexion, qu’il est néfaste de présenter les choses comme ça. Néfaste pour deux raisons. 

La première est que je trouve cela incroyablement réducteur. Quand on s’embarque sur le chemin tortueux du dialogue avec soi, que ce soit via la thérapie, la lecture, le coaching, le yoga, la méditation, l’écriture, la CNV (communication non violente) etc. on se rend justement très vite compte que tout l’intérêt réside dans le chemin. Chaque étape. Chaque leçon. Chaque petite évolution.

« Life is a journey, not a destination ». C’est bien ce que l’on dit, non ? Cette petite phrase, souvent mise en couleur sur Pinterest, qui nous vient du poète et essayiste américain Ralph Waldo Emerson, illustre joliment cet état d’esprit. 

La seconde raison est que c’est extrêmement culpabilisant (et anxiogène) pour tous ceux qui, pour plusieurs raisons, n’atteignent pas forcément cette sorte d’épanouissement, de plénitude, d’absolu dans leur vie, qu’est « sensé procurer le développement personnel » tel qu’il est souvent présenté. Evidemment, comment se retrouver dans ces discours ultra-lisses de non contrariété permanente, de plénitude et de sérénité totale, de je mange sain- je fais du yoga - je lis - je suis alignée- rien n’a d’emprise sur moi- et je ne suis qu’amouuuur. 

Sans parler de toute la pression et charge mentale qui pèsent sur les femmes, notamment les mères qui doivent incarner la femme - l’amante - la mère (qui pratique évidemment l’éducation bienveillance, le cododo, l’allaitement, le 100% bio) tout en menant une carrière à succès et en adoptant une posture féministe et eco-friendly….Et donc qui, forcément, n’y arrivent pas, et culpabilisent à mort, malgré toutes leurs initiatives en « développement personnel ».

Je crois que c’est en chérissant nos imperfections, y compris morales, que nous arriveront à un vrai sentiment d’aise avec nous-même. Ça m’a mis du temps à le comprendre d’ailleurs. Et je pense que je suis parfois (souvent) tombée dans tous les pièges que je viens de vous décrire. 

Mais c’est en me souvenant du « pourquoi je créé manyfest » - témoigner pour inspirer les autres - que je me suis rendue compte qu’il fallait que je fasse de cette plateforme un lieu où l’on parle avec liberté et authenticité. 

Alors je vous propose de dire stop à cette injonction au bonheur permanent et de cultiver vos moments de doute, de vous laisser traverser par la souffrance lorsqu’elle frappe à votre porte, sans chercher à l’éviter ou la compenser. Stop à cette dictature du mieux, du toujours mieux. Et plutôt, oui à la notion de résilience


Pourquoi avons-nous ce besoin d’exercer notre contrôle sur autrui ?

Le rapport de force entre les personnes m’a toujours fascinée. Je pourrais passer des heures à les observer, les analyser… et aussi déplaisant que cela est pour moi, également à les vivre, ces rapports de force, tant ils sont révélateurs de tempéraments. Des baromètres de personnalité, mais aussi, je crois, de société.

Que ce soit dans mes histoires d’amour, d’amitié, mes rapports professionnels ou même simplement sociaux, au détour d’une boulangerie ou d’un grand magasin … l’énergie qui se crée entre deux personnes est pour moi quelque chose de fascinant. Combien de fois me-suis-je surprise à me perdre dans mes réflexions après avoir justement observé des situations de domination dans la vie quotidienne.

À mesure que j’avance en âge, j’ai le sentiment, pas toujours agréable d’ailleurs, que la norme a petit à petit évolué vers la mise en place d’un rapport de force assez frontal, brusque et surtout systématique. C’est devenu la norme des rapports sociaux quotidiens. Il faut déterminer, c’est obligatoire, et si possible assez tôt dans la relation, quelque soit sa nature, qui des deux domine. Dans notre société actuelle, il paraît essentiel de dominer, d’avoir le dessus, de ne pas être « une victime ».

D’où je viens, la Martinique, j’ai observé que c’est quelque chose de très vrai. De très marqué déjà dans mes souvenirs d’ado. Et ça n’a fait que se vérifier depuis. J’ai même l’impression que ça s’est intensifié au fil du temps, et c’est quelque chose qui a toujours entretenu une forme de distance avec les mentalités parfois caractéristiques de mon île. Une fossé souvent douloureux à constater puisque la Martinique représente pour moi famille, amis et enfance. 

Je pense également que la propension à juger et cataloguer (mettre dans des cases bien définies, aux contours souvent opaques) est quelque chose qui a accentué cette volonté de domination. Il faut, c’est essentiel, occuper la place du plus fort. De celui qui a raison. De celui qui est suivi, qui a autorité. Plutôt que de celui qui suit, cède, se compromet. Pire, de celui qui est consensuel (et donc qui aurait "un manque de caractère »).

Cette nouvelle norme, si elle est nouvelle d’ailleurs (au 17ème siècle, les moralistes ne condamnaient-ils pas déjà la « libido dominandi »), m’amène à me poser de nombreuses questions, notamment sur la typologie des relations humaines.

Est-ce ça l’amitié ? Déterminer entre deux personnes, qui est le décideur ? Celui au « caractère fort », qui derrière cette étiquette confortable, repousse toute opportunité de dialogue et de flexibilité ?

Et l’amour dans tout ça ? Est-ce devenu une faiblesse d’être facile à vivre, concilient, facilement malléable ? Est-ce à ce point une tare que d’être réceptif à l’influence d’autrui ?

Comme si, l’absence de bras de fer faisait perdre sa saveur aux relations humaines. Comme si le vécu d’un rapport de force, permanent, était seule source d’excitation, d’adrénaline et seul indicateur de caractère ?

Combien de fois ai-je entendu : « Ça ne se passerait pas comme ça avec moi, je ne me laisse pas faire, j’ai un gros caractère… ».

N’avons-nous donc de valeur sociale qu’en ces termes ? Est-ce si mauvais de « se laisser faire » ? Ou n’est-ce pas plutôt une formidable opportunité d’exprimer notre tolérance et notre ouverture d’esprit ?

Vous l’aurez sans doute compris. C’est l’approche à laquelle j’ai plutôt envie de croire.

Je suis las de cette dérive permanente des uns et des autres de vouloir contrôler autrui. Contrôler leurs réactions, leurs décisions, la trajectoire de leur vie. Comme pour limiter le champ de leur liberté. Las d’assister à ces bras de fer du quotidiens, dans le cercle professionnel, amical, amoureux, ou même au volant. 

C’est depuis toujours quelque chose qui m’interpelle. Qui me révolte même.

L’effet de groupe, ou de couple d’ailleurs, accentue, on le sait, encore un peu plus ce phénomène de nivellement et de mimétisme. Car si alors, « le leader » trouve des pairs allant dans cette même direction (cette volonté d’infléchir les choix d’autrui) il se sent d’autant plus légitime. On le voit parfois sur les réseaux sociaux ou dans certaines émissions à la télévision.

C’est peut-être d’ailleurs pourquoi, je n’ai jamais vraiment réussi à m’intégrer aux groupes. Ou même aux relations légères et passagères. Les « potes », les « copines ». Je n’ai jamais réussi à en garder dans ma vie sur le long terme. J’entends encore ma mère me reprocher de ne pas soigner « mon réseau. ». Mais en réalité je crois que je m’en fiche du réseau.

Car je ne trouve mon bonheur que dans ces relations profondes et longues, que sont les amitiés et les histoires d’amour. Non pas qu’elles soient plus valables. Car la valeur des relations humaines n’a de baromètre que le degré de bonheur qu’elles nous apportent. Je parle simplement pour moi. De ce que je ressens, dans la vérité de ce dialogue interne.

J’ai tant besoin de sentir cette tolérance dans les relations que j’accepte de construire et dans lesquelles je fais le choix de m’investir. J’ai ce besoin essentiel de savoir que les personnes qui m’entourent m’acceptent, avec toutes mes nuances, dans une forme d’inconditionnel, avec mes faiblesses de visu, sans jamais pour autant avoir l’envie de les utiliser contre moi. Et je m’épanouie aussi à leur rendre la pareille.

C’est peut-être cela d’ailleurs, la preuve de confiance la plus totale : accepter de se montrer vulnérable. Ne pas avoir peur que l’autre exerce sa capacité de contrôle. Exprimer sa liberté, sans retenue. 

J’ai toujours eu la conviction que la plus grande des forces finalement est justement cette capacité à faire preuve d’une bienveillance profonde et sans condition. Qui, même dans vos moments de faiblesse, incombant à votre humanité (et dans lesquels la tentation du jugement et du contrôle sur autrui est forte), vous guide vers un comportement de tolérance et d’ouverture à l’autre.